Passionné de mécanique et de matériel, Simon Masi a pensé son propre VTT de Street-trial, pour répondre à ses exigences de pilote professionnel. Grâce à une démarche collaborative, ce VTT roule et virevolte,… mais qu’en dit Simon ?

© Texte & photos : Greg JEAN

Il y a un an, Simon effectuait ses premiers triks avec un VTT de Street-Trial tout droit sorti de sa tête, et d’une usine de Taïwan pour le cadre et la fourche. Un an à mettre à l’épreuve six mois de conception, discussions, fabrication, montage, réajustement, … voici l’histoire peu commune d’une aventure collaborative au service de la passion et de la réflexion (et du bon sens) !

01. Pilote d’expérience.

Après avoir pratiqué le VTT Trial à haut niveau pendant plusieurs années, Simon s’est orienté vers la démonstration et le show VTT. Depuis plus de dix ans, il est pilote professionnel et parcourt le monde pour réaliser ses exhibitions. Il organise aussi de nombreux shooting photo et tournages vidéo. Titulaire d’un B.T.S. « Conception de produits industriels », sa palette professionnelle est complétée par l’activité de moniteur de VTT, et l’hiver, de pisteur-secouriste / artificier. Depuis un bon moment, l’envie de participer concrètement au développement d’un vélo de Street-Trial trottait dans la tête de Simon. Avec une telle carrière, il a bien entendu compté quelques partenaires matériels, avec lesquels la collaboration s’étendait à la mise au point des produits. Au fil du temps, s’est installé un certain ras-le-bol d’effectuer des retours aux marques pour finalement retrouver les défauts signalés sur les séries suivantes, ou noter l’absence des améliorations à apporter. L’envie de faire les choses bien mixée à sa passion pour la mécanique et le matériel conduit Simon à se lancer dans un nouveau projet, ayant pour ligne directrice : prendre le temps de chercher, et trouver, les meilleures solutions !

À 2,5 mètres du sol bitumé mieux vaut avoir confiance en son matériel et que la précision soit au rdv ! Par contre le pneu arrière ne supporte pas bien autant d’engagement… mais, en réalité, il roule sur quoi Danny ???

Street-trial, trial ou street ?

Le Street-Trial est une discipline qui combine certaines figures (ou triks) venant du Trial et d’autres du BMX-Street. Si on parle de Street tout court on désigne la pratique du BMX dans la rue. Le trial est un sport de compétition où l’objectif est de franchir des obstacles, naturels ou artificiels, sans poser le pied à terre. Il n’y a donc aucunes figures imposées et le style du pilote n’est pas pris en compte dans le résultat. Le Street-Trial se pratique exclusivement en milieu urbain, le but étant d’enchainer des figures et des franchissements dans un univers qui n’a pas été façonné pour le VTT. Au-delà de l’habilité sur le vélo, la créativité est une composante intrinsèque du Street-trial. Les meilleurs pilotes portent un regard aiguisé sur la beauté de la ville, parfois même cachée.

02. Un projet collaboratif.

Pour Simon, il n’est pas question de fabriquer lui-même son VTT. C’est un métier que de souder ! Son intervention se concrétise dans la conception et le montage de ses vélos. C’est tout naturellement qu’il se rapproche d’une marque existante, pour bénéficier de son expertise, son réseau et sa capacité à lancer la production d’une petite série. En juin 2016, notre pilote-penseur aborde Christian GUGLIOTTA, créateur de Crewkerz, marque spécialisée dans les VTT, vélos et pièces de trial. Même si la gamme Crewkerz ne possède pas de modèles de Street-trial, son patron n’envisage pas le lancement d’une série en-dessous d’une certaine quantité, afin d’amortir le travail de conception, la fabrication à Taiwan, l’importation … on parle alors d’un investissement de 50 000 à 100 000 €. Ni Simon, ni Christian ne peuvent envisager cette dépense. Et fabriquer les cadres en France serait trop onéreux. C’est là qu’Inpulse Bikes intervient. Marque dédiée au trial, créée par Cédric Fontenoy en 2009. Bien que novatrice, Inpusle Bikes n’a jamais exploité concrètement le segment du Street-trial. Cédric est okay pour accompagner Simon dans la conception et la fabrication de ses vélos mais n’envisage aucune commercialisation, sa marque n’ayant pas l’envergure pour produire et stocker une série complète d’un modèle de Street-trial, un créneau bien particulier.

Un dernier foot jam tail-whip, avant de filer en terrasse remplir une grille de mots fléchés force 6 !

… la créativité est une composante intrinsèque du Street-trial. Les meilleurs pilotes portent un regard aiguisé sur la beauté de la ville, parfois même cachée.

Quatre kits cadre et fourche seront produits exclusivement pour Simon. Fin juin 2016, Cédric travaille rapidement sur les plans et Simon les valide en juillet. Pour le lien avec l’usine à Taiwan, le transport et l’importation c’est Cédric qui s’occupe de tout, puisqu’il a déjà tous les contacts pour Inpulse Bikes. Kits cadre et fourche sont réceptionnés en novembre. Entre juillet et novembre, c’est le temps qu’il a fallu à Simon pour constituer deux kits de composants et accessoires, commander toutes les pièces et rayonner les roues. Ainsi tout était prêt à l’arrivée des cadres. Le temps de monter deux vélos et de prendre quelques photos avec un photographe professionnel, début décembre Simon présente, officiellement sur les réseaux sociaux, son propre VTT de Street-trial. Mais qu’est-ce que ce vélo a de si particulier pour en produire une micro-série ?

03. Le cadre.

De manière générale, les modèles de Street-trial sont produits en petites séries et leur qualité est celle qui va avec des prix souvent bas, pour répondre à la demande d’un public très majoritairement jeune. Simon a voulu un vélo qui s’affranchit des contraintes commerciales classiques. Rien de révolutionnaire mais quelques nouveautés pour le Street-trial, largement inspirées du VTT traditionnel. Le cadre conçu sous la houlette d’Inpulse Bikes est en aluminium 6061-T6 avec des tubes hydroformés (triangle avant). La douille de direction est conique afin de se voir robuste, rigide et esthétique. Elle accueille un jeu de direction intégré, pour un montage simplifié : plus besoin d’insérer des coupelles en force dans le cadre, il y a juste à poser les roulements.

Simon voulait un vélo pointu. Désormais, il roule sur un vélo unique et rare, parmi ce qui se fait de mieux pour la pratique du street-trial.

La fixation de l’étrier de frein arrière est de type Post-Mount 180 mm, évitant ainsi l’usage d’un adaptateur entre l’étrier de frein et le cadre, gagnant alors en rigidité et facilitant le montage puis les réglages. Ce type de patte de disque existent depuis longtemps, mais de nombreuses marques utilisent encore le standard IS qui est beaucoup moins pratique. La tension de chaine est assurée par un tendeur afin que la position de la roue arrière reste fixe, contrairement aux différents systèmes avec des pattes horizontales, plus besoin de (se faire ch…) passer systématiquement du temps à aligner sa roue. Ce choix permet également d’utiliser un axe de roue arrière de type traversant en 12 x 135 mm. Les avantages sont nombreux : compatibilité avec différents moyeux, rapport poids / rigidité, simplicité de montage et démontage, plus besoin d’aligner la roue, …
Comme sur tous les modèles de trial chez Inpulse Bikes, le passage de la durite de frein arrière est interne au niveau du triangle avant. Il n’est donc pas nécessaire de souder des plots de fixation sur le tube supérieur, ce qui est plus esthétique et protège la durite.

… Au fil du temps, s’est installé un certain ras-le-bol d’effectuer des retours aux marques pour finalement retrouver les défauts signalés sur les séries suivantes, …

04. La fourche et la selle.

Comme le cadre, la fourche est en aluminium 6061-T6. Son pivot est bien entendu conique, évitant ainsi le montage avec un adaptateur. Fileté, il permet l’utilisation d’un bouchon de potence du même type. Il n’y a donc pas besoin d’insérer une étoile dans le pivot et le passage interne de la durite de frein avant est facilité. Simon pousse le concept un peu plus loin en poursuivant le passage interne dans le fourreau gauche de la fourche, la durite ressortant juste au-dessus de l’étrier. Comme sur le cadre, la fixation de l’étrier de frein sur la fourche s’opère via une patte Post Mount 180mm avec les avantages cités précédemment. La roue avant se fixe avec un axe traversant de 15 x 100 mm qui apporte de la rigidité tout en garantissant un montage / démontage rapide et facile.
Même d’une utilité plus que réduite, la selle compte parmi les composants d’un VTT de Street-trial. C’est dans les codes de la discipline, en apparence un Street-trial doit avoir une allure de vélo. Simon a demandé une fixation de selle de type Direct Mount, c’est à dire sans collier de tige de selle ni tige de selle. Choix rendu possible grâce à l’utilisation d’une selle Pivotal dont la fixation est directement soudée sur le tube de selle. Gain de poids assuré et deux pièces de moins à acheter

Selle de type Direct Mount, c’est à dire sans collier de tige de selle ni tige de selle. Gain de poids assuré et deux pièces de moins à acheter !

Un pédalier malin.

C’est le pédalier qui a accaparé le plus de temps dans les discussions pour le développement du vélo de Simon. Un pédalier développé spécifiquement pour le trial garantit solidité et rigidité. Or en trial, la roue libre est intégrée au pédalier pour gagner en précision et réactivité. Voulant conserver les codes du Street-Trial et, surtout, utiliser le moyeu Hope, Simon a conjugué ses exigences grâce au format AS30. C’est Christian GUGLIOTTA qui a introduit ce type de pédalier dans le milieu du trial. Créateur de la marque Crewkerz (VTT trial), il développe également une gamme de pièces conçues spécifiquement pour le trial, sous le nom de WAW, comme « Wild and Wired ». Le pédalier choisi est donc un WAW AS30, axe et manivelles sont en aluminium 7075 T6, usinés CNC. Au standard « PressFit 30 », il se distingue par le large diamètre de son axe (30mm) et se monte sur des cadres au boitier spécifique : pas de filetage interne et les cuvettes sont intégrées au boitier de pédalier, rester à presser les roulements pour les y loger sans forcer. Le porte à faux de l’axe est ainsi diminué et sa rigidité fortement augmentée. Avec un diamètre de 30 mm, il permet d’utiliser l’aluminium donc plus léger que l’acier, et plus rigide. Cette taille est également idéale pour recevoir les cannelures, au standard Shimano, que l’on retrouve sur la plupart des moyeux arrières, permettant alors à Simon de monter sur le pédalier un pignon à cannelures à la place de la roue libre. On retrouve donc un épais pignon Absolute Black Singlespeed, en aluminium usiné, de 18 dents, calé entre deux entretoises. L’AS30 est un pédalier deux pièces. La manivelle droite est fixée sur l’axe de 30 mm, indémontable par l’utilisateur, et celle de gauche dispose d’un serrage radial. Le réglage du jeu latéral s’effectue avec le petit outil Shimano. Cette combinaison du format AS30 avec roue libre sur le moyeu arrière permet ainsi à Simon de gagner en rigidité sur l’axe de pédalier afin d’avoir une transmission plus précise et plus réactive, d’avoir une ligne de chaîne parfaitement maîtrisée, d’optimiser le poids, de fiabiliser les roulements et l’ensemble du système, puis de monter un moyeu haut de gamme avec axe traversant de 12×135 mm. Christian GUGLIOTTA (Crewkerz / WAW) a fourni gracieusement les plans du pédalier à Cédric Fontenoy (Inpulse Bikes), en charge de la conception du cadre… on partage les bonnes solutions !

05. Hope, mais pas que …

Chaque pièce a été méticuleusement sélectionnée pour son efficacité, sa fiabilité, sa durabilité et son esthétique. Le pédalier et son boitier ont occupé une place prépondérante dans les discussions et le temps consacré à la conception du cadre. Là encore Simon a opté pour une solution mûrement réfléchie, voir encadré « Un pédalier malin ». Goûtant peu aux freins en plastique, c’est évidemment vers Hope que Simon se tourne pour équiper ses spads. D’autant que les britanniques proposent un modèle complet (étrier + levier) dédié au trial avec le « Trial zone ». Outre la qualité de fabrication de la marque anglaise, le frein est trialement réfléchi avec un levier un peu plus long pour un gain de pression au freinage, et un ergot qui protège la vis banjo connectant la durite et l’étrier. En Street-trial les pieds trainent parfois sur le cadre et ses périphériques, accrochant les durites par exemple, pouvant ainsi les desserrer et entrainer une fuite ou une prise d’air. Toujours chez Hope, les pédales. Certes plus onéreuses à l’achat mais tellement plus fiables ! Les picots ont une forme et une longueur idéales pour garantir un excellent grip, mais ils sont aussi d’une solidité à toute épreuve. Déjà, ils se fixent par le dessous, puis au contact avec la pédale, ils ont une embase un peu plus large que la moyenne !

Pédales Hope pour leur solidité et leur fiabilité peu communes. Les rouges sont neuves tandis que les noires ont déjà trois saisons et pas un picot de changé !!!

Hope toujours, pour les moyeux ! Les ingénieurs anglais ont développé un moyeu arrière trial / singlespeed, fileté pour se fixer aux pattes horizontales via de longues vis qui servent d’axe. À la demande de Simon, l’usine anglaise a fourni des moyeux non-fileté, afin qu’il puisse utiliser l’axe de 12×135 mm. Simon a rayonné lui-même ses roues, avec les jantes 24 pouces de Street-Trial en aluminium produites par Inpulse Bikes. Elles sont très solides, mais après un an d’utilisation, Simon envisage de monter des jantes plus larges et tubeless pour gagner en confort. Il roule aujourd’hui avec 2 bars dans chaque pneu … Pour le poste de pilotage (potence et cintre), sa préférence est allé à Bonz, la gamme de périphériques d’Ozonys, la marque créée par Bruno Arnold (champion de VTT Trial).


En chiffres.

  • 4 kits cadre + fourche fabriqués à Taiwan et importés.
  • 400 € facturés par Inpulse Bikes pour un kit comprenant cadre, fourche, tendeur de chaine, roulements du jeu de direction, selle et bouchon de fourche fileté avec passage de durite.
  • + 200 € (en France) pour des inserts dans les fourches car livrées avec un filet de en 1 mm au lieu du 1,5 attendu pour les axes de roue, … erreur de plan.
  • 1100 € de pièces par vélo en les payant au tarif revendeur.
  • 2 vélos complets montés.
  • 1,7 kg cadre + fourche
  • 10,2 kg le vélo complet

Simon MASI, vit sur le plateau du Vercors, pilote professionnel de Street-Trial, moniteur de VTT.

– Mais quelle drôle d’idée de se faire son propre VTT de Street-trial …
La passion et une certaine utopie de la perfection. Ce qui n’est pas en corrélation avec le marché du Street-trial dont les vélos de séries sont pour la plupart de médiocre qualité. Tant que ça se vend… Et ras-le-bol d’effectuer des retours aux marques pour finalement retrouver sur les séries suivantes les défauts signalés, ou noter l’absence des améliorations à apporter, même avec les partenaires.

– Du coup, tu te rapproches d’un fabricant français …
C’est Inpulse Bikes qui m’a aidé à réaliser ce projet. Marque dédiée au trial, créée par Cédric Fontenoy en 2009. Je connais bien Cédric puisque nous avons étudié ensemble et nous avons même été colocataires. J’ai donc pu apprécier à quel point il est pointu dans son travail. Il possède également une grand expérience grâce à sa pratique personnelle, et son frère Aurélien est un top pilote international du VTT Trial. Le fruit de cette collaboration est celui de la rencontre de mes exigences et du savoir-faire expérimenté de Cédric !

– Quels écueils as-tu évités, ou heurtés ?
J’en ai évité un paquet justement grâce à cette collaboration. Cédric ayant déjà son réseau à Taiwan tout a été fluide pour produire, transporter, importer. Son expérience, dans la conception et le développement de VTT de trial, a permis de valider assez vite les plans. Il y a eu un peu de stress avec la possibilité que ce prototype ne fonctionne pas une fois monté. Une petite boulette quand même avec le filet des fourches qui n’était pas à la bonne dimension pour recevoir les axes de roues avant. J’y ai remédié rapidement en trouvant une entreprise locale qui a intégré des inserts avec le bon filet.

– Et ce vélo alors, qu’en penses-tu ?
J’ai mis un peu de temps à m’habituer à sa géométrie quand j’ai commencé à rouler avec il y a un an car je pratiquais sur des VTT-Trial depuis de nombreuses années.
Désormais, je l’ai bien en main et j’ai un vélo qui correspond parfaitement à ma façon de rouler. Je ne regrette vraiment pas le temps et l’argent investis dans ce projet, donc je suis très satisfait du résultat. Je voulais un vélo pointu et je peux dire que je roule sur un vélo unique et rare, parmi ce qui se fait de mieux pour la pratique du Street-Trial. Si c’était à refaire, je crois que je ne changerai rien à part peut être un poste de pilotage légèrement plus haut.

– Rien d’autre ???
Tout n’est pas parfait… par exemple j’aurais préféré que le passage interne de la durite de frein arrière se poursuive sur le triangle arrière, avec une sortie vers l’étrier qui protège au maximum l’ensemble. Ce qui serait un sérieux atout pour les figures comme le foot jam tail-whip, pendant lequel les pieds du pilote se posent sur le cadre et peuvent accrocher la durite. Une protection qui serait également bienvenue en cas de chute. Je vais changer le pneu arrière car je suis très déçu du pro-modèle Continental. Le Air King Macaskill 24’, à l’arrière, se déforme très vite et prend du voile. Il ne reprend pas sa forme originale et procure une sensation peu agréable au roulage toute en réduisant la précision de pilotage.

– Va donc falloir envisager une nouvelle série du Pro-modèle Masi ?
Avec mon patronyme peut-être pas ! Mais qui sait, … peut-être retravaillerai-je un jour sur des prototypes …

 

 

vtt magazinen° 322 - février 2018

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